« Reconnaissance... » : effet de la reconnaissance attendue et perçue, sur le sens au travail des personnels soignants
- Yasmine Mélina
- 14 févr.
- 9 min de lecture
Résumé
Cette étude examine l'impact de la reconnaissance attendue et perçue sur le sens du travail des personnels soignants (infirmières, aides-soignantes, aides médico-psychologiques, etc.). À l'ère de la médecine moderne, l'espérance de vie augmente, entraînant un vieillissement de la population et une demande croissante de personnel soignant (Alderson, 2005). Il est crucial de s'intéresser au bien-être de cette population pour assurer des soins de qualité et préserver leur santé mentale et physique. Selon Dejours (1998), la reconnaissance au travail et le sens du travail sont essentiels pour la santé psychologique au travail (Vézina, 2000 ; Brun & Dugas, 2005). Cette étude vise à comprendre le lien entre reconnaissance et sens du travail.
Introduction
Dans le contexte actuel, le travail est central dans la vie des individus et contribue à la construction de l'identité (Dejours, 1998). Les salariés ont de grandes attentes en termes de reconnaissance (Maris, 1993). La reconnaissance est déterminante pour la mobilisation de l'intelligence et de la personnalité dans le travail (Dejours, 1998).
Une étude d’Ide (2015) montre que le manque de reconnaissance est souvent invoqué dans l'apparition du Burn-Out. Au Canada, 25 % à 41 % des personnes interrogées déclarent manquer de reconnaissance au travail. Un sondage Gallup révèle que 50 % des travailleurs se disent « non engagés » et 20 % « activement désengagés » (Sorenson et Garman, 2013).
Ces chiffres soulignent l'importance du climat social et du bien-être des salariés, qui influencent la productivité et la qualité du travail (Alderson, 2005 ; Brun & Dugas, 2002). La reconnaissance répond à des besoins psychologiques fondamentaux (Deci et Ryan, 2000).
Revue de Littérature
La psychodynamique du travail
L'approche de la psychodynamique du travail, développée par Christophe Dejours et Yves Clot, analyse la relation entre l'organisation du travail et la santé mentale des salariés. Le travail peut être source de plaisir et de souffrance. La charge psychique du travail infirmier est déterminée par le sens donné au travail (Vézina, 2000).
La reconnaissance
La reconnaissance est essentielle pour mobiliser l'intelligence et la personnalité dans le travail (Dejours, 1998). Brun & Dugas (2005) définissent la reconnaissance comme une réaction constructive et authentique, exprimée de manière personnalisée et cohérente. Elle peut être formelle ou informelle, individuelle ou collective, et avoir une valeur symbolique, affective, concrète ou financière. La reconnaissance peut venir de plusieurs niveaux (Brun & Dugas, 2005).
Impact sur la santé
Le manque de reconnaissance peut entraîner des sentiments d'injustice et d'inutilité, affectant la santé psychologique des soignants (Daloz, Balas & Bénony, 2007). La reconnaissance serait liée à la construction de l'identité et au bien-être psychologique (Dejours, 1993).
Méthodologie de l'expérimentation
Participants et plan d’expérience : L'échantillon se compose de 1012 femmes (moyenne d’âge de 35 ans) et 45 hommes (moyenne d’âge de 33 ans), tous professionnels de santé. Les participants ont répondu à un questionnaire en ligne mesurant la reconnaissance attendue et perçue, la motivation et le sens du travail.
Matériel et procédure : Nous avons choisi une méthode de mesure quantitative et qualitative, Les participants ont répondu à un questionnaire via Google Form. Le questionnaire mesurait :
La reconnaissance attendue et perçue (questionnaire de l’IMRAT de 2013, inventaire de mesure de la reconnaissance au travail perçue développé par Sauvezon et Deprez).
Le sens au travail (questionnaire de May de 2004 (traduit par Breault en 2005).
La motivation intrinsèque et extrinsèque (questionnaire de Blaise, 1993). Cette dimension était évaluée par Estelle BONNET dans le cadre de son mémoire de recherche en 2019.
Résultats et Discussion
Notre étude de 2019 explorait le lien entre la reconnaissance au travail (attendue et perçue) et le sens du travail chez le personnel soignant. Nous avons utilisé une bibliographie scientifique pour comprendre les différents aspects de la reconnaissance et des éléments mesurés (sens du travail, motivation...).
Nous avons formulé l'hypothèse que plus la reconnaissance au travail est élevée, plus le sens du travail augmente. Selon les analyses statistiques des résultats que nous avons obtenus :
Groupe 1, les salariés attendent + de reconnaissance qu'ils n'en perçoivent : 1000 personnes (94,6 % de l'échantillon).
Groupe 2, salariés qui reçoivent + de reconnaissance qu'ils n'en attendent : 57 personnes (5,4 % de l'échantillon).
L'analyse statistique nous a permis d'interpréter les résultats obtenu au regard de la psychométrie. Les résultats font apparaitre que :
Reconnaissance Attendue : N'a pas d'effet significatif sur le sens du travail.
Reconnaissance Perçue : Reconnaissance Perçue élevé ↗️ = Sens du Travail élevé ↗️.
Interaction entre Reconnaissance Attendue et Reconnaissance Perçue : Pas d'influence significative l'un sur l'autre.
Reconnaissance des collègues et de la hiérarchie : Impacte fortement le Sens du Travail. En particulier la reconnaissance des collègues.
Conclusion
Les résultats montrent que la reconnaissance perçue (surtout de la part des collègues et de la hiérarchie) augmente le sens du travail. En revanche, la reconnaissance attendue n'a pas d'effet notable. Cela signifie que pour les soignants, se sentir reconnu par leurs collègues et supérieurs est crucial pour donner du sens à leur travail.

Impact de la reconnaissance sur Implications, l'engagement
Absence de reconnaissance : Peut entraîner un manque de sens du travail et de motivation, ce qui peut expliquer l'absentéisme, le désinvestissement, le turnover et les maladies professionnelles, mais aussi sur le burnout (le burnout n'est pas officiellement reconnu comme maladie professionnelle à ce jour en 2025, sauf sur exception).
Autres facteurs : Le manque d’autonomie, de pouvoir, de considération, d’organisation et de structuration des tâches, ainsi que l’absence de collectif de travail et la lourde charge de travail, influencent également le sens du travail et la motivation. Il est à noter que ces éléments sont classifiés comme étant des RPS selon le modèle de Gollac.
D'autres études ont pu confirmer les résultats de notre études et mettre en avant l'importance de la reconnaissance comme facteur de protection de la santé mentale des travailleurs. Brun et Dugas (2003) ont pu conclure à la conclusion que la reconnaissance intervient tant sur le sens du travail que sur la santé mentale des salariés. Prenons soin de nos collaborateurs, en tant que manager soyons humains et rappelons nous que les choses simples peuvent avoir un grand impact positif au travail.
Ensemble, cultivons la reconnaissance pour protéger la santé psychologique de nos employés.
BONUS - Témoignage d'une infirmière (2019)
Ce témoignage illustre parfaitement les enjeux abordés dans le mémoire. Il met en évidence l'importance de la reconnaissance au travail pour le bien-être psychologique des soignants. Il fait également le lien avec l'actualité : manque de moyens humains, matériels et financiers dans les hôpitaux en France, pénurie de personnel, surcharge de travail dans la Fonction Publique Hospitalière... Les personnels du service des urgences du CHU de Montpellier rencontre actuellement une crise sans précédent et observe une grève depuis le 05 Février 2025.
"Bonjour,
Petite mise en contexte, je suis infirmière (27 ans) de nuit dans un petit hôpital local en zone rurale (vive la population âgée, la désertification médicale, le premier hôpital avec un service d'urgence se situant à 30-45 minutes de route) composé d'un service de Médecine / SSR et d'un EHPAD. Affectée à la Médecine / SSR, je m'occupe cependant également de l'EHPAD.
Travaillant la nuit et voyant donc très peu de famille (sauf décès ou situation de fin de vie) ainsi que la hiérarchie, je ne trouve donc pas forcément que les familles "gratifient" mon travail puisque je ne les ai pas "en direct". Concernant la hiérarchie, il en est de même (hormis un merci sincère au téléphone quand on vient remplacer car il y a besoin...).
Concernant les collègues de jour, cela dépend aussi (on ne peut pas s'entendre avec tout le monde). Du coup, je dirais que mon travail n'est pas assez valorisé ni par l'entreprise, ni par la hiérarchie, ni par les familles pour la simple et bonne raison que l'on est rarement en contact avec eux.
Pour ce qui est des patients, là encore, c'est un peu la loterie. Certains ont conscience de notre charge de travail toujours plus importante avec des effectifs réduits, nous voient courir partout pour essayer tant bien que mal de finir notre travail en temps et en heure (ce qui, hélas, n'arrive que trop peu à mon goût) et nous gratifient de petites phrases telles que "Vous êtes courageuse, je ne pourrais pas faire ce métier". D'autres en revanche, parce que nous n'avons que peu de temps à leur consacrer, se montrent parfois "blessants" verbalement (j'ai déjà entendu plusieurs patients me dire que j'étais payée pour faire mon travail (ce qui n'est pas faux en soi c'est sûr, mais avec un peu plus de respect, ça passerait mieux).
J'ai parfois conscience de mal faire mon travail en exhortant certains de mes patients à aller plus vite. À ne pas être très délicate quand je les tourne pour faire un change par exemple (même si je les préviens que je vais les tourner sur un côté du lit).
J'aime mon métier, aussi difficile soit-il, et je le trouve malgré tout gratifiant (grâce à des collègues qui m'encouragent au quotidien, des mots gentils de patients, des situations d'urgence ou des actes difficiles que j'arrive à gérer sans encombre et de façon relativement autonome). Mais il est vrai qu'il existe dans les professions paramédicales un manque cruel et flagrant de reconnaissance vis-à-vis de la charge de travail et de la dureté (toujours plus grande) de nos métiers au quotidien, que ce soit par la hiérarchie, par certaines familles (qui sont parfois très exigeantes), certains patients, certains médecins (qui se croient tout-puissants et semblent ne pas avoir intégré la notion de "travail d'équipe"; l'infirmière ne peut rien faire sans son accord et en retour doit faire tout ce que le médecin lui demande) et par la hiérarchie qui ne nous remercie que rarement (encore une fois, merci de dépanner la collègue malade, de revenir sur un jour de repos où on avait prévu quelque chose, sur des vacances, sur des dates importantes (anniversaires, jours fériés...).
Nos métiers ne sont clairement pas valorisés et nous avons cette "culture" du personnel toujours présent et toujours là (merci les nones) car la maladie ne connaît pas les vacances, les jours fériés, les week-ends. Nous sommes donc corvéables à merci et ce n'est pas normal. Un renforcement des effectifs, plus de personnel (et peut-être une revalorisation des salaires) pour pouvoir, tout simplement, prendre le temps de nous occuper correctement de chacun de nos patients, voilà ce qu'il nous faudrait.
Arrêter de gérer l'hôpital comme une entreprise mais ça, nos chers pouvoirs publics ne l'ont toujours pas compris... Merci de m'avoir lue. Bon courage pour votre étude.
Cordialement."
Bibliogaphie
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Vidéographie
https://www.youtube.com/watch?v=BLet1cNcGlw (Youtube – Christophe Dejours « j’ai très mal au travail » 1 à 12 – Page Youtube « la souffrance au travail »)
https://www.youtube.com/watch?v=tV1DpO8LF9U (Youtube – Yves Clot « Travail et pouvoir d'agir » – Page Youtube « librairie mollat»)
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