Reconnaissance, Bien-être et Performance au Travail, un cercle vertueux.
- Yasmine Mélina
- 12 févr.
- 8 min de lecture

Dans le monde professionnel actuel, la reconnaissance joue un rôle crucial dans le bien-être des travailleurs et leur performance. Un sujet d'étude que j'ai pu explorer en 2019 sous la direction de Daniel Gilibert. Voici le résumé de ce travail, avec quelques données à jour !
Le Travail
Le travail est une activité durant laquelle un individu s’adapte aux caractéristiques d’une situation en mettant en œuvre une démarche active (Faverges, 1955 ; cité par Pastré, 2002). Ainsi, travailler consiste en partie - mais pas uniquement - à diagnostiquer une situation, résoudre des problèmes, planifier et appliquer des stratégies (Pastré, 2002).
Le travail est également un espace de liberté d’action où l’individu peut s’épanouir et organiser son activité avec une certaine liberté de création et d’adaptation. Pastré (2002) met en exergue l’écart existant entre la tâche prescrite (travail rationnalisé, façon dont l’exécution du travail est prévue) et la tâche réelle (façon dont le salarié exécute réellement le travail, imprévisible, nécessitant adaptation et créativité, débordant toujours du cadre de la tâche prescrite).
Dejours (2000, p.104) inclut les notions de tâche prescrite et réelle dans sa définition du travail. Selon lui, le travail est « l’activité déployée par les hommes et les femmes pour faire face à ce qui n’est pas maîtrisable par l’exécution stricte des prescriptions […] . Travailler, c’est faire face à toutes les anomalies (incidents, pannes, dysfonctionnements, imprévus, surcharge, encombrement…), ce qui suppose la mobilisation de l’attention et surtout de l’intelligence ».
Selon Dejours (1998), les individus qui travaillent s’appliquent à faire au mieux et dépensent de l’énergie, un investissement personnel dans leur travail. Lorsque la qualité de leur travail est reconnue, ce sont aussi leurs efforts, angoisses, doutes et découragements qui prennent tout leur sens. Dans ce cas, leur souffrance n’a pas été inutile et a permis une contribution à l’organisation du travail. Viennent ensuite des sentiments de soulagement et de plaisir, le travail s’inscrit donc dans la dynamique d’accomplissement de soi. S’ils ne reçoivent pas les bénéfices de la reconnaissance de leur travail, les individus sont renvoyés à leur souffrance et à tout ce qu’elle engendre.
La reconnaissance au travail est cruciale car elle permet à l’individu de maintenir un niveau de motivation essentiel à sa productivité. La reconnaissance n’est donc pas seulement importante pour le salarié et sa bonne santé, mais aussi pour l’entreprise, car elle accroît la motivation et booste la productivité et la performance du salarié, donc de l’entreprise. Selon une enquête menée par le cabinet de recrutement Robert Half, le manque de reconnaissance aurait plus d’effet négatif (46%) sur la motivation des salariés que le manque de matériel (41%), la mauvaise adéquation du salarié au poste (37%) et la perte de confiance dans le management direct (37%).
Reconnaissance, Bien-être et Performance au Travail, un cercle vertueux.La Reconnaissance : Un Vecteur de Motivation et de Productivité
La reconnaissance au travail est bien plus qu'un simple geste de politesse. Elle est un vecteur d'identité et de sens, contribuant directement à la motivation et à la productivité des travailleurs. Selon Brun et Dugas (2005), la reconnaissance est un jugement posé sur la contribution du travailleur, tant en termes de pratique de travail que d'investissement personnel. Lorsque les efforts des salariés sont reconnus, cela renforce leur engagement et leur satisfaction, créant ainsi un cercle vertueux de performance accrue.
Les Conséquences de l'Absence de Reconnaissance
À l'inverse, l'absence de reconnaissance peut avoir des effets dévastateurs. Dejours (1998) note que la non-reconnaissance peut faire apparaître des pathologies comme la dépression, la confusion mentale et le burn-out. Les travailleurs non reconnus sont plus susceptibles de ressentir un sentiment d'injustice et d'inutilité, ce qui nuit à leur santé psychologique et à leur performance. Daloz, Balas et Bénony (2007) soulignent que la perception de non-reconnaissance focalise l'attention des individus sur ce manque, engendrant un sentiment d'injustice et d'inutilité.
Le Bien-être au Travail : Un Enjeu de Taille
Le bien-être au travail est devenu un enjeu majeur pour les entreprises. Lachmann, Larose et Penicaud (2010) affirment que la santé des salariés est une source incontestable d'efficacité dans le travail, et donc de performance individuelle et collective. La reconnaissance joue un rôle clé dans ce bien-être, en contribuant à la satisfaction et à la motivation des employés. Les entreprises qui investissent dans la reconnaissance de leurs employés voient une amélioration notable de leur performance globale.
L'Importance de la Reconnaissance Informelle
Il est intéressant de noter que la reconnaissance informelle, telle que les paroles d'encouragement et les gestes spontanés, est souvent plus efficace que la reconnaissance formelle. Hivon (1999, cité par Brun et Dugas, 2005) insiste sur l'importance de l'authenticité, de la spontanéité et de la qualité des rapports humains lors de l'expression de la reconnaissance. La parole est la forme de reconnaissance la plus employée, davantage informelle, et elle est recommandée pour son authenticité et sa spontanéité.
L'Identité et le Sens au Travail
Au travail, les individus peuvent construire leur identité personnelle et professionnelle. Le travail permet de donner du sens à leur vie et de parvenir à la réalisation personnelle. C’est pour cela que les individus ont de grandes attentes en termes de reconnaissance au travail (Brun & Dugas, 2005).
L’identité est définie comme « le sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle et d’une continuité temporelle » (Dubar, 1998). Selon Dejours (1998), « par le travail, il se joue quelque chose d’important par rapport à la construction de l’identité. Travailler, c’est faire l’expérience de ce qui résiste, de ce qui ne marche pas, c’est le travail vivant, d’invention ».
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (1946, cité par Atlas, 2009, « chartes d’Ottawa »), « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». L’activité de travail, après la sphère familiale, est l’un des aspects fondamentaux du sens existentiel, permettant de satisfaire un arsenal de besoins individuels (Brun & Dugas, 2005, p.81). Le travail a une importance fondamentale dans la vie des individus, permettant de maintenir la subsistance, mais ses intérêts sont plus vastes. Il dispense aux individus l’insertion dans le monde social, l’actualisation, la mise en application et le développement des connaissances et compétences. Le travail assure le sentiment d’efficacité personnelle et d’accomplissement de soi, il est vecteur d’identité sociale et donne un sens à la vie (Morin & Forest, 2007).
La reconnaissance collabore à la construction de l’identité des individus « en reflétant la qualité et la dynamique des rapports sociaux de travail, [elle] devient un déterminant majeur de la construction d’une identité plus solide et plus stable au travail » (Dejours, 1998 ; El Akremi, Sassi, Bouzidi, 2009).
Un travail qui a du sens se caractérise par trois points :
l’utilité sociale du travail (faire un travail utile, qui ajoute de la valeur),
l’autonomie dans son travail (pouvoir bien faire son travail de la manière qui semble la plus efficace et dans lequel on se reconnaît),
l’apprentissage et le développement des compétences et connaissances (apprendre, se perfectionner) (Morin, Gagné, Cherré, 2009).
Hackman et Oldham (1976, cité par Morin & Forest, 2007) ont mis en évidence trois caractéristiques pouvant donner du sens au travail :
la diversité des tâches (qui nécessitent de fait une variété de compétences),
l’identité du travail (niveau auquel le travail permet de faire quelque chose avec un résultat manifeste, reconnaissable)
la signification du travail (effet considérable du travail sur le bien-être ou le travail des autres personnes).
Les Risques Psychosociaux et la Performance au Travail
Les risques psychosociaux (RPS) correspondent à des situations de travail où sont présents, combinés ou non, du stress, des violences internes ou externes, et des conditions de travail difficiles, pouvant entraîner des troubles de la santé mentale et physique des salariés (INRS). Selon le rapport Gollac (2011), les RPS incluent des facteurs tels que l'intensité du travail, les exigences émotionnelles, et le manque d'autonomie. La réglementation française impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, conformément à l'article L. 4121-1 du Code du travail. Les risques psychosociaux (RPS) affectent négativement le bien-être psychologique ou physique des travailleurs dans une situation de travail. Une exposition aux RPS est susceptible de provoquer du stress et d'engendrer une diminution des performances et de la production, voire des problèmes de santé physiques et/ou psychologiques. Le rapport 2010 de l'EU-OSHA indique que le stress est la cause de 50 à 60% des absences en entreprises européennes. Selon le baromètre de l'absentéisme d'Ayming, les conditions de travail sont l'une des premières causes d'absentéisme. En 2021, le taux d'absentéisme moyen aux États-Unis était de 3,2 %, toutes professions confondues, avec des variations selon les secteurs. En France, les absences pour raisons de santé mentale, telles que le stress et le burn-out, sont en augmentation, reflétant une tendance préoccupante dans le monde du travail. En 2024 selon le même baromètre on observe deux tendances haussières : l’absentéisme de longue durée et la hausse des arrêts pour accident de travail
Conclusion
Pour atteindre les objectifs fixés par l'organisation, les travailleurs ont subi une augmentation de la complexité des tâches, nécessitant plus d'efforts et de reconnaissance. Le manque de reconnaissance peut avoir un impact néfaste sur les individus, engendrant des sentiments d'injustice et d'inutilité, et des comportements contre-productifs. La reconnaissance impacte la motivation, l'identité sociale et le sens au travail, menant à un bien-être au travail et à une bonne performance et productivité. Il est crucial d'équilibrer la reconnaissance en fonction de la complexité du travail. En dépit de ses bienfaits, la reconnaissance n'est pas l'unique variable permettant une amélioration de la qualité de vie au travail. Il est nécessaire de travailler sur d'autres aspects de la vie au travail, tels que le matériel, l'organisation, le management, et l'engagement collectif et individuel.
En 2025 : quid de l'impact de l'IA sur les travailleurs... affaire à suivre.
Bibliographie
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