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Stéréotype, colère, sentiment d’injustice, et performances des femmes (test d'aptitudes cognitives)

Durant notre dernière année de licence, nous avons fait un travail d'étude passionnant concernant l'impact de la menace du stéréotype sur les performances des sujets stigmatisés. En voici une esquisse...

A la lumière des différentes théories concernant la menace du stéréotype (notamment Steele & Aronson, 1995), nous faisions l’hypothèse que la colère et le sentiment d’injustice auraient un impact délétère sur les performances des sujets stigmatisés. Une étude faite sur un test lié aux aptitudes cognitives (WPT) met en évidence l’implication de la menace du stéréotype dans la chute des performances des femmes en situation de menace du stéréotype. Conformément à nos hypothèses, les femmes en situation diagnostique (menace) ont obtenu des performances plus faibles que les femmes en situation non diagnostique (non menace). Cependant, nous ne pouvions pas affirmer de lien entre l’émotion de colère, le sentiment d’injustice et la chute des performances.


Les stéréotypes « ont été définis, entre autres, comme des croyances exagérées, rigides, mauvaises, et sur-simplifiées (ce qui équivaut à un préjugé, voir Allport, 1954), et plus récemment comme des croyances que l’ensemble des membres d’un groupe partage à l’égard de l’ensemble des membres d’un groupe (Leyens, 1983), et enfin comme des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais souvent aussi des comportements, d’un groupe de personnes (Leyens, Yzerbyt, & Schadron, 1996) », ce sont plus clairement, « des croyances socialement partagées concernant les caractéristiques qui seraient propres à certaines catégories sociales » (Gabarrot, 2015, p1). Selon le domaine dans lequel le stéréotype est présent, les sujets lui accorderont plus ou moins d’importance, ce qui laisse la possibilité d’apparition des effets délétères de la menace du stéréotype, notamment sur les performances des personnes. Selon Shih, Ambady, Richeson, Fujita, & Gray (2002), les stéréotypes peuvent être particulièrement dangereux lorsqu’ils prédisent une performance académique inférieure.

Les chercheurs ont découvert que l'activation des stéréotypes peut non seulement nuire aux performances mais également les améliorer, en fonction de la valence du stéréotype.


La menace du stéréotype est la crainte qu’on les sujets d’être jugés en fonction d’un stéréotype, elle est influencée par plusieurs facteurs, entre autres, il a été démontré que l’impact de la menace du stéréotype - sur les performances - était modéré par l’importance que les sujets accordent au domaine dans lequel le stéréotype est présent. Il semblerait également que le degré d’identification du sujet vis-à-vis de la catégorie sociale ciblée par le stéréotype ait une importance dans l’impact du stéréotype sur sa performance (Gabarrot, 2015, p4). Durant nos recherches, nous avons constaté que la menace du stéréotype est à la source d’un cercle vicieux, cette dernière ayant pour conséquence une chute importante des performances des sujets stigmatisés. Selon les diverses études, cette chute des performances serait due à plusieurs facteurs, notamment le sentiment d’injustice et les émotions négatives ressenties par les sujets en situation de menace du stéréotype, ainsi que de la chute des performances qui en résulte.

La menace du stéréotype est la crainte de « confirmer ou d’être vu comme confirmant un stéréotype de son groupe social ». Le déclencheur de la menace serait donc établi dans la peur que ressent un sujet de se voir juger en fonction du stéréotype relatif à son groupe. Les sujets en situation de menace du stéréotype ressentiraient donc la crainte de confirmer un stéréotype attaché à leur groupe d’appartenance et auraient le désir de se défaire du stéréotype, en effet ils craindraient de confirmer le stéréotype et donc parallèlement la mauvaise réputation de leur groupe.


Le fait de connaître un stéréotype, peu importe que l'individu stigmatisé y adhère ou non, aurait une influence sur lui.

Selon Lentillon, Cogérino, & Kaestner (2006) un sujet évalué sur une dimension stéréotypée pourrait percevoir la situation comme étant injuste pour lui-même, aussi, lorsque l’individu considère le stéréotype comme non fondé, le sentiment d’injustice serait particulièrement fort (c’est le cas des femmes de l’étude « femmes au volant » de Chateignier, Chekroun, Nugier, Dutrevis, 2011).


Le terme de justice organisationnelle défini la perception qu’à un sujet concernant le traitement qu'il reçoit au travail. Il s'agit d'une théorie importante qui définit la perception qu'un salarié a de la façon dont il est traité dans l'entreprise. Le fait qu’un sujet ait une perception de justice en entreprise favorise les comportements et les émotions positives vis-à-vis de son lieu de travail. Au contraire, une perception d’injustice entraînera des comportements contre-productifs, source de coût financier pour l’entreprise.


Or, à la suite des études effectuées, nous savons aujourd’hui que le sentiment d’injustice en entreprise Les études sur les affects suggèrent que les émotions pourraient influencer les processus cognitifs tels que la motivation au travail, la persistance face à la difficulté, et les performances. Les chercheurs se sont notamment appuyés sur les diverses recherches de Wright et Cropanzano (2000) lesquelles mettent en évidence l’influence positive du bien-être psychologique sur la performance au travail. Cette influence positive serait donc caractérisée par une motivation et une satisfaction au travail qui engendrerait de meilleures performances au travail.


Le processus cognitif de régulation émotionnelle aurait un impact dans la chute des performance dans une situation de stigmatisation

Notamment dans une situation ou ses capacités sont évaluées, un individu stigmatisé peut redouter de rendre exacte la réputation d’infériorité de son groupe d’appartenance. Cette crainte, et le désir qu’elle engendre à vouloir se défaire du stéréotype, entraînerait une charge cognitive supplémentaire à gérer dans la situation dans le but de réguler les émotions, ceci limitant la capacité de l’individu à réaliser la tâche correctement, entraînant ainsi une chute des performances. « Il s’agit donc d’un effet ponctuel, spécifique à une situation d’évaluation précise et dans laquelle le stéréotype est saillant ». « Ainsi, face à des situations où les stéréotypes négatifs sont rendus saillants, l’individu qui évalue que les demandes de la situation dépassent les ressources dont il dispose pour y faire face va percevoir cette situation comme menaçante. Cette menace est notamment révélée au travers de certains marqueurs physiologiques (pression sanguine plus forte [...]). Il est possible de penser que des individus qui auraient intériorisé le stéréotype fassent également preuve de ce type de pattern physiologique lorsqu’ils sont placés dans des situations qui réactivent des doutes sur soi et donc limitent les ressources pour surmonter cette menace ». Il a été montré que les individus stigmatisés et menacés par un stéréotype présentent davantage de signes physiologiques d’anxiété et de colère que les individus des autres conditions.

Les travaux de Lee et Allen (2002) mettent en exergue que les émotions ponctuelles, notamment les émotions négatives telles que l’hostilité ou la colère, sont prédictives de comportement contre-productifs. Selon plusieurs expériences effectuées par divers chercheurs (Yeung et Von Hippel, 2008 ; Gerrig et Bower, 1982) il y aurait de fait une activation des émotions de colère chez les sujets stigmatisés en situation de menace du stéréotype. Ils ont observé qu’entre autre, la chute des performances des sujets stigmatisés était liée à l’intervention des émotions de colère. Dans l’expérience de Chateignier, Chekroun, Nugier et Dutrévis (2011) sur « les femmes au volant », les résultats mettent en évidence que la peur n’aurait pas d’impact dans la relation entre la « menace du stéréotype » et les « performances ».

Autrement dit, seule la colère aurait un impact négatif sur les performances des sujets stéréotypés


Nombreux sont les chercheurs à avoir étudié la régulation émotionnelle chez les individus stigmatisés et en situation de menace d’un stéréotype. Ils ont constaté que les zones activées du cerveau ne sont pas les mêmes chez les sujets stigmatisés et les sujets non stigmatisés. En effet chez les sujets en situation de menace du stéréotype on constate une activation considérable du cortex cingulaire antérieur ventral, qui est la zone cérébrale associée au déclenchement du processus de régulation des émotions, tandis que chez les sujets non menacés les zones actives sont l’aire de Brodmann et le gyrus angulaire bilatéral qui sont des zones facilitant l’adoption de bonnes stratégies. Les sujets qui ressentent des émotions négatives telle que la colère sont donc soumis à des processus cognitifs de régulation émotionnelle, ce qui inhibe leur performance.

Le désinvestissement des sujets des groupes sociaux stigmatisés dans les sphères d’application des stéréotypes est une des conséquences considérables du phénomène de la menace du stéréotype, ceci pourrait expliquer les échecs de certains groupes sociaux dans des tâches données (exemple des performances académiques des individus noir versus blancs dans les expériences de Steele et Aronson à l’Université de Stanford aux Etats-Unis, 1995).

Ces éléments mettent en exergue les dangers de la menace du stéréotype sur les performances et le bien-être des individus y étant confrontés. Il est nécessaire de lutter contre les effets délétères des stéréotypes afin de réduire leur effet dévastateur



Mélina Reichmuth, en co-recherche avec Estelle Bonnet



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